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Recherche clinique en ville : mythe ou réalité ?



La médecine est un « art scientifique ». C’est aussi un domaine dans lequel la recherche est primordiale car elle est par essence le prototype de la science imprécise et l’exploration de cet « univers dans l’univers » est la seule voie pour le découvrir et ainsi enrichir nos connaissances pour améliorer la santé de nos congénères. Celle-ci se réalise sur les 3 axes possibles de notre action : diagnostique, thérapeutique et préventive.


Toute recherche nécessite de larges réflexions animées par une curiosité et une ouverture d’esprit, et c’est dans ce cadre que progresse l’amélioration continue de nos pratiques pour la santé de nos malades. Quel que soit son résultat, la recherche enrichit les savoirs et améliore le domaine dans lequel elle est impliquée. Il devient fondamental aujourd’hui d’inclure la recherche clinique dans nos pratiques quotidiennes, bien que sa mise en place en milieu libéral reste à motiver, à développer et à structurer.


La place de la recherche clinique en France

Quand on parle de recherche clinique, on pense souvent aux « essais cliniques », des études qui visent à évaluer un nouveau médicament. Mais ce domaine de la recherche en santé est bien plus vaste et permet aussi :

  • D’identifier des mécanismes moléculaires ou cellulaires impliqués dans des maladies, qui permettent à leur tour d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques.

  • D’identifier des facteurs de risque génétiques ou environnementaux, pertinents pour mettre en place des stratégies de prévention.

De comparer plusieurs approches diagnostiques ou thérapeutiques disponibles, ce qui peut servir à formuler des recommandations sur la prise en charge des patients…


Dans l’Actu - En 2021, la France est restée très active, en première position en Europe, dans l’initiation des études cliniques, toutes études (interventionnelles, observationnelles, épidémiologiques…), tous produits (médicaments, dispositifs médicaux…) et toutes promotions (académique ou industrielle) confondus. Toutefois, son déploiement en milieu libéral reste encore balbutiant.

Le libéral, un maillon précieux dans le déploiement de la recherche clinique

La médecine générale fait partie des soins primaires qui constituent le premier contact de la population avec le système de santé. Il n’existe pas de définition officielle de la recherche en médecine générale. Cependant, ses caractéristiques ont été précisées par Gérard de Pouvourville, professeur émérite en économie de la santé, qui la décrit comme « une recherche clinique et épidémiologique portant sur les problèmes de santé rencontrés en première ligne ». La production de données issues de la pratique en médecine générale est essentielle pour alimenter les démarches diagnostiques et les stratégies thérapeutiques, et réduire ainsi l’écart entre les recommandations et les pratiques de soins primaires. Cette recherche est nécessaire pour fournir des indicateurs de terrain susceptibles d’influencer les décisions de santé publique.


La recherche en soins primaires se structure et se développe en France sous l’impulsion des autorités de santé et des universitaires de médecine générale, progressivement rejoints par les autres acteurs médicaux et paramédicaux de soins primaires. La crise sanitaire du covid a montré la nécessité de pouvoir tester très rapidement, dès la détection d’une infection, des traitements innovants et des candidats vaccins. Le rôle sentinelle de repérage et la capacité d’investigation et de participation aux protocoles de recherche des praticiens de première ligne sont apparus de plus en plus importants. L’universitarisation de la médecine générale, les maisons de santé qui ont émergé et les techniques liées à la digitalisation des pratiques facilitent une participation plus soutenue des médecins de ville à la recherche. Le libéral devient un maillon indispensable pour renseigner les études dans « la vraie vie », ce qui est par définition un contexte différent et complémentaire de la recherche en milieu hospitalier.


Quel intérêt de coupler recherche clinique et activité libérale

Inclure la recherche clinique au quotidien et dans les activités du praticien libéral est une manière d’améliorer ses connaissances et ses pratiques, de participer au progrès médical conjointement à l’exercice de la médecine et permet de diversifier son activité en renforçant les pratiques interprofessionnelles. C’est une autre manière de penser la pratique médicale quotidienne.


On questionne - Il s’agit de se poser la question : « Mon patient est-il soigné de manière optimale ? N’ai-je pas de traitement plus adapté à son cas et celui-ci est-il disponible ? Mon patient peut-il avoir accès précocement à un traitement innovant sous « surveillance rapprochée » ?

La recherche en milieu libéral permet de mener des projets sur un « échantillon » de patients plus large et de ce fait plus pertinent pour des études reflétant les pratiques en « vie réelle ». Il pourrait être également plus « facile » et plus rapide de sélectionner des volontaires parmi une patientèle plus fréquemment soignée en milieu libéral qu’en milieu hospitalier. Pour les malades, ce serait ainsi une manière de valoriser la recherche aux yeux des « usagers » qui constateraient que ce type d'activité requiert une grande motivation, une rigueur exemplaire et scrupuleuse dans la conduite des essais. Ceci augmenterait la confiance des patients et de leurs entourages dans les préconisations des médecins.


Les freins au déploiement de la recherche clinique en milieu libéral

On peut constater que si la recherche clinique en médecine générale existe depuis longtemps, elle se heurte en France à des difficultés spécifiques. Les obstacles les plus souvent cités comme freins à la recherche clinique en médecine de ville sont liés à plusieurs facteurs :


  • Le manque à la fois de pratique, d’outils et d’équipements et de ressources humaines.

  • Le peu de disponibilités de ces investigateurs par manque de temps.

  • Le manque de formation des praticiens de ville qui est pourtant indispensable.

  • Les lourdeurs administratives et protocolaires dans un cadre juridique contraignant et dans un contexte de fichage dans les listes de conflits et liens d’intérêt (risques péjoratifs sur la réputation mercantile du médecin).

  • Une rétribution pas toujours motivante ne couvrant pas l’investissement en temps et le « manque à gagner ».


Quels leviers facilitateurs pour le déploiement de la recherche clinique en milieu libéral

Face à ces difficultés de mise en place et de sensibilisation, des solutions existent et se mettent progressivement en place. Le développement de la recherche en milieu libéral dépend de la mise en lumière pendant la formation des praticiens, comme en formation continue, de l’intérêt de participer à des recherches afin de produire des résultats scientifiques plus solides. La recherche en médecine générale se structure avec la mise en place des réseaux de recherche en pratique libérale et d’une filière universitaire.


Dans l’Actu - Pour les praticiens en exercice, une formation « labélisante » et une information motivante adaptée pour la recherche devraient se développer.

Il en est de même avec des passerelles pour certains prouvant un acquis d’expérience de type VAE. Le recours aux outils et innovations digitales intuitifs (recueil des données via des outils connectés, e-consentement, signature électronique…) qui permettent de dématérialiser et délocaliser tout ou partie des actes de la recherche, que ce soit pour le participant ou les équipes d’investigations, sont aussi en plein développement afin de faciliter le travail des investigateurs. Il faudrait également permettre à la recherche d’aller vers le patient : « équipes et unités mobiles de recherche » en proposant si nécessaire des organisations locales aux personnels « investigateurs » d’aller à leur rencontre, là où ils se trouvent.


La structuration de la recherche en médecine de ville peut également s’appuyer sur des organisations existantes telles que les sociétés savantes ou les organismes de recherche en support réglementaire ou technique. Enfin, outre la valorisation scientifique, il est nécessaire de motiver les médecins généralistes, potentiels investigateurs en imaginant par exemple l’attribution d’un titre officiel mettant en exergue un label de « Médecin Habilité à la Recherche Clinique » MHRC au même titre que les PHRC. Selon le type de projet, une rétribution par mission est à mettre en place dans un régime salarial en CDD.


Conclusion

Le déploiement de la recherche clinique en milieu libéral ne devrait plus être un mythe mais bien une réalité pour les multiples raisons déclinées dans les lignes précédentes. Un long chemin de sensibilisation et de persuasion reste encore à parcourir, mais les sensibilités et esprits s’éveillent, s’interrogent et sont plus enclins à adapter les pratiques actuelles pour les faire évoluer. De plus en plus de praticiens libéraux s’intéressent à la recherche clinique et à sa possible intégration en parallèle de leur activité première avec leur patientèle. Néanmoins un premier pas consiste à créer des conditions structurées en mettant en place des mesures pour répondre à ces besoins. La motivation du praticien et l’acceptabilité de son patient constitue un élément clé du développement de la recherche médicale en milieu libéral pour l’élargir à « la vraie vie » afin de renforcer la pertinence des résultats.


LUDOVIC MARIN | Crédits : AFP

Dans l’Actu - Dans le domaine de la recherche clinique, l’AIS (Agence de l’Innovation en Santé) a lancé plusieurs initiatives pour permettre « la simplification, l’accélération des inclusions, la digitalisation et les innovations méthodologiques en matière d’essais cliniques », conformément à la lettre de mission adressée par la Première Ministre à la directrice générale de l’agence.




Pierre TAJFEL

Docteur en médecine, médecin généraliste à Versailles, ancien praticien des hôpitaux, spécialisé en algologie et en médecine palliative, président de l’association LDPD (La Douleur et le Patient Douloureux).










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